Crédit photo: Karine Tournier

Samedi 23 novembre 2024, j’ai eu le grand plaisir d’interviewer Francine Guth et Freddy Viau, autour du Festival de Théâtre Amateur Scénoblique. Cette année, j’ai la joie d’être l’assistante metteure en scène pour la pièce du samedi soir « Les marchands de gloire » de Marcel Pagnol, qui sera jouée le 5 avril à l’Espace Gérard Philipe.

Pouvez-vous vous présenter et dire votre rôle dans Scénoblique ?

F.G : Je coordonne l’ensemble du collectif Scénoblique. Scénoblique, c’est le collectif de l’ensemble des personnes qui aiment le théâtre sur le département de l’ Aube qu’ils soient professionnels, amateurs, auteurs de théâtre ou passionnés en tant que spectateur. Chacun peut avoir différents rôles au sein de ce collectif. Mon travail, c’est de coordonner l’ensemble de ces personnes afin que le Festival se déroule au mieux et que les troupes se connaissent mieux les unes les autres et partagent autour d’expériences théâtrales. J’ai un rôle plus spécifique pour tout ce qui est communication et réservation des salles. Le plus important, comme pour un producteur, c’est que tous se passent au mieux pendant les trois jours du Festival.


F.V : Je suis metteur en scène, comédien professionnel et auteur de théâtre. Je suis natif de Chaource. J’ai commencé par faire du théâtre amateur au sein de la M.J.C et dans ce cadre-là, j’ai été l’un des initiateurs du Festival Scénoblique, il y a 30 ans. Cette année, j’ai l’immense privilège et honneur d’avoir fait le choix du texte qui sera monté le samedi soir et de le co-mettre en scène avec 3 autres metteurs en scène pour cette version originale des 30 ans. Il s’agit de la pièce « Les marchands de gloire » de Marcel Pagnol.

Freddy, peux-tu expliquer comment s’est créé le Festival Scénoblique ?

F.V : Le Festival Scénoblique qui fête ses 30 ans cette année, a eu pour origine un mouvement qui a démarré au sein des M.J.C. Je faisais partie d’une section de théâtre à la M.J.C de Chaource. Il y a eu un incident dans une compagnie qui était aussi hébergée dans une M.J.C , la M.J.C de Marigny-le-châtel. Lors de leur représentation annuelle à Marigny-le-châtel, la salle des fêtes a brûlé et ils ont perdu tout leur matériel technique et le décor. On a eu l’initiative avec Angèle Spaolonzi qui était animatrice permanente à la F.D.M.J.C, d’organiser un après-midi solidaire pour essayer de récolter quelques fonds, et pour permettre à la compagnie de Marigny-le-châtel de pouvoir acheter quelques premiers projecteurs, puisqu’ils avaient tout perdu. C’est comme ça qu’a eu lieu la première rencontre des sections théâtre des M.J.C. On s’est aperçu qu’on ne se connaissait pas du tout les uns les autres et qu’il y avait un grand vivier de comédiens amateurs un peu partout. Lors de cet après-midi, c’était un vrai moment de plaisir de se rencontrer. Chacun avait préparé au sein de sa section théâtre un sketch, et l’ensemble a formé un spectacle. On a eu envie de développer cette initiative et de se dire que l’on pouvait créer un festival puis de l’étendre à toutes les troupes du département de l’ Aube. Cela a été le point de départ de l’aventure Scénoblique.


Pourquoi le nom de Scénoblique? Qui l’a choisi ?

F.V : Dès la première année, il a fallu trouver un nom, il y a eu une sorte de brainstorming. Beaucoup de propositions ont été faites. On a choisi Scénoblique car cela reflétait l’idée d’un chemin de traverse entre les troupes, l’envie de créer des ponts entre nous, de quelque chose qui relie, qui soit un peu différent de ce que l’on connaissait, et qui mélange les différences de pratiques des compagnies du département.

Francine, peux-tu expliquer le déroulement d’un week-end Scénoblique ? Quels sont les différents temps forts ?

F.G : Il a évolué au fur et à mesure des 30 ans. Au tout début, c’était 2 après-midis un peu récréatives où chacun proposait ce qu’il avait conçu à l’intérieur de son atelier ou de sa troupe de théâtre. Ensuite, ils ont créé sur une idée de Freddy, qui le connaissait d’ailleurs, l’appel aux auteurs pour le dimanche : c’est un concours d’écriture de pièce de théâtre à partir de contraintes. Au départ, le samedi soir, des troupes de départements limitrophes ou d’ailleurs étaient invitées et venaient proposer une pièce à eux de leur répertoire. Cela a évolué.

La mouture actuelle, celle qui sera présentée en 2025 pour les 30 ans, c’est le vendredi soir, la leçon de théâtre : c’est une succession de petits extraits de pièces de théâtre, joués deux ou trois fois de suite, pour permettre aux spectateurs de voir l’importance du rôle du metteur en scène sur le même extrait. Cela met en valeur la fonction du metteur en scène, ses choix sur le jeu des comédiens, les costumes, et les décors.

Le samedi après-midi, nous serons au théâtre Le Quai et nous aurons la chance de recevoir Gilles Dyrek qui est auteur, metteur en scène et comédien. Il nous a fait le plaisir d’être cette année le président du jury de l’appel aux auteurs. Ce sera une rencontre, une causerie autour de sa carrière et de ses pièces.

Le samedi soir, c’est la pièce de théâtre dont 1 des 4 metteurs en scène est Freddy. Il m’a fait le plaisir d’accepter ce projet un peu fou. Les metteurs en scène vont se relayer sur la même pièce de théâtre. Cela va être super sympa de voir les metteurs en scène s’approprier un quart de la pièce de façon différente. Les mêmes comédiens vont jouer sous la direction de quatre metteurs en scène différents tout au long du spectacle. La pièce c’est  » Les marchands de gloire  » de Marcel Pagnol, qui fête ses 100 ans en 2025.

Le dimanche après-midi, c’ est l’appel aux auteurs avec le résultat du concours d’écriture. Le jury sélectionne une pièce lauréate. Elle est montée avec deux autres textes choisis par des metteurs en scène du collectif. Mais cette année, comme c’est les 30 ans, rien ne se passe comme d’habitude : le jury a primé 2 pièces. Chaque pièce dure 30 minutes. Le dimanche après-midi a lieu au Théâtre de la Madeleine. A la fin du spectacle, le lauréat ( cette année il y en aura deux ) reçoit le prix de la madeleine des mains du Président des Amis de la Madeleine.

Il y a le week-end du festival Scénoblique. Est-ce qu’il y a d’autres manifestations pendant l’année ?

F.G : Il y a une vie tout au long de l’année. le collectif se réunit une fois par mois. Il y a aussi des formations qui sont mises en place pour les membres du collectif en fonction de leurs besoins. Par exemple, nous avons besoin de nouveaux metteurs en scène et donner envie à certains de se lancer dans l’aventure donc nous organisons un stage de mise en scène. D’autres fois, le collectif a envie d’un stage de mime ou autour du corps ou de la voix. Cela dépend beaucoup des membres et de ce qu’ils choisissent. Ensuite, nous cherchons des intervenants pour encadrer ce stage. Les stages sont ouverts à tous ceux qui aiment le théâtre, qui le pratiquent ou qui ont envie de le découvrir.

La plus grande richesse lors des réunions du collectif, ce sont les échanges entre les membres :  » Tu joues quoi ? Comment tu répètes ? Tu n’aurais pas un costume ? On manque de salle. Qui peut venir nous aider ?  » . Il n’y a pas que le festival, il y aussi toute cette mise en relation qui n’existait pas au début.

F.V : C’était l’enjeu du festival. Maintenant c’est un acquis mais avant cela on n’imagine pas combien les troupes étaient isolées chacune dans leur coin, dans leurs propres pratiques que ce soit dans les campagnes ou en ville. Il y a eu l’envie de tisser des liens et des échanges entre toutes ces troupes, de se questionner sur la pratique même du théâtre. Les comédiens ont pu passer de troupe en troupe beaucoup plus facilement. J’ai plaisir à voir des comédiens qui me disent :  » Cette année, c’est dans cette compagnie-là que je vais jouer  » . C’est des choses qui existent maintenant qui n’existaient pas du tout il y a 30 ans. Chacun avait sa pratique dans son coin. Maintenant, Il y a un vrai échange, une vraie circulation des comédiens et du matériel technique aussi, des costumes, des décors, des conseils que l’on se donne. Tout cela fait que le théâtre se fait de plus en plus facilement. C’est le vrai atout et le vrai bonheur de Scénoblique.

F.G : Ce qui est important pendant le festival, c’est qu’un metteur en scène ne fasse pas jouer les comédiens de sa propre troupe. Par exemple, Comé 10, La Compagnie du loup Bleu ou la troupe Colaverdey, quand ils font des mises en scène pendant le festival, ils choisissent des comédiens d’autres troupes. Et quand dans leur pratique de troupe ils décident de monter une pièce particulière, par exemple pour concourir au prix de la F.N.C.T.A, ils ont parfois repéré dans le cadre du Festival, des comédiens qui pourraient convenir pour certains rôles.

Scénoblique, c’est une troupe éphémère, la pièce du samedi soir n’est jouée qu’ une fois. C’est en jouant ensemble, qu’ils apprennent à mieux se connaître. Ce qui est difficile, c’est de créer un esprit de troupe sur un temps relativement court. C’est un travail important du metteur en scène, il a peu de temps pour créer cette osmose. Cette année, Ils sont 13 sur le plateau et proviennent de 6 ou 7 troupes différentes. Ils n’ont pas l’habitude de se côtoyer, et pourtant Ils doivent être dans l’ immédiateté tout de suite de jouer ensemble, échanger, s’entendre, c’est un vrai défi. Et en même temps le vrai atout de Scénoblique.

Quelles sont les valeurs véhiculées par Scénoblique ?

F.V : Ce sont les valeurs du partage, de l’ écoute. C’est aussi un lien qui a lieu entre le théâtre amateur et le théâtre professionnel. Sur la pièce du samedi soir, on est 4 metteurs en scène professionnels : Danièle Israël, Laurence Carnesecca, Maria-Pascaline Naudin et moi-même qui participons à cette aventure avec des amateurs. Ce qui nous relie tous, c’est le goût et l’amour du théâtre. Et de faire du théâtre ensemble. D’améliorer nos pratiques mutuelles et de vivre des aventures toujours plus riches et amusantes.

F.G : J’ajoute aussi qu’il y a certaines valeurs de l’éducation populaire qui sont portées par ce Collectif. La transmission : les membres qui sont là depuis le début, ont à coeur de transmettre aux nouveaux et de donner une place à toutes et à tous. Tous ceux qui viennent participer à Scénoblique, n’ont pas forcément un premier rôle sur la plateau. Ils peuvent juste s’impliquer dans la billetterie, dans la mise en place des décors, faire partie de la communication, réfléchir à l’affiche ou participer au choix des photos pour le livre souvenir des dix dernières années. Une autre des valeurs du collectif c’est l’émancipation. Les nouveaux arrivants à Scénoblique prennent confiance au fur et à mesure du temps, grandissent artistiquement, ils peuvent chaque année avoir un plus grand rôle ou bien participer aux stages, et même devenir metteur en scène à leur tour. Chacun peut y trouver sa place.

Comment expliquez-vous que Scénoblique perdure depuis 30 ans ? A quoi est dûe sa longévité ?

F.G : Il y a beaucoup de bienveillance de la part de ceux qui sont là depuis longtemps. Ils sont vigilants à ce que chacun puisse trouver sa place. C’est mon rôle de donner à chacun une place dans le collectif et de veiller à ce que personne ne soit mis à l’écart. Ce n’est pas toujours facile de trouver sa place dans cette aventure qui existe depuis 30 ans. Ceux qui sont là depuis longtemps parlent le même langage. Il ne faut pas que les nouveaux se sentent exclus. Il faut être vigilant à ce que tout le monde comprenne bien comment cela fonctionne. Par exemple, tout le monde est bénévole. Seul le metteur en scène du samedi est rémunéré. Il y a beaucoup de petits rôles. Souvent dans le théâtre, on ne perçoit que ceux qui sont sur le plateau. C’est comme dans un iceberg, ce n’est que la partie visible, le travail est important derrière : décor, conduire le camion, etc… Le plus important, c’est que les bénévoles y trouvent du plaisir et qu’ils aient envie de revenir.

F.V : Il y a trois éléments qui font la longévité de Scénoblique.

Le premier, c’est les belles valeurs que cela transmet que Francine a bien expliqué et qui sont le socle de cette aventure.

Le deuxième élément, c’est qu’il y a une sorte de formule magique qui s’est trouvé dans l’équilibre du festival entre les différents évènements. Chacun peut y trouver son intérêt. C’est très complet, très riche. Le vendredi, on aborde la place du metteur en scène. Comme les extraits sont courts, c’est l’occasion de passer le pas pour les metteurs en scène ou comédiens débutants. Le samedi : on aborde la pratique du jeu avec l’aide d’un metteur en scène professionnel qui les pousse à aller plus loin dans leur pratique amateur. Le dimanche, il y a une mise en avant de l’écriture et du texte. Toutes les facettes du théâtre sont représentées. Le Festival est très bien agencé.

la troisième chose, grâce à laquelle le festival doit sa longévité, c’est le fait d’être hébergé au sein de la Fédération des M.J.C, et d’avoir une vraie structure qui a pu nous épauler, qui a permis au festival de perdurer. Nous avons eu la chance d’avoir eu successivement deux personnes exceptionnelles au sein de la Fédération : Angèle Spaolonzi sur les premières années et maintenant Francine Guth qui, sont des forces actives sans lesquelles tout cela n’existerait pas. On doit énormément à leur ténacité, à leur courage de tenir la barre coûte que coûte, de braver les nombreux obstacles et de garder l’énergie en permanence. On leur doit la longévité.

Qu’avez-vous prévu de marquant lors de la prochaine édition pour fêter les 30 ans du festival ?

F.V : La pièce du samedi soir est mise en scène par 4 metteurs en scène différents. Ce relai de metteur en scène est très original. Cela va être une expérience de théâtre car le spectateur, en plus de l’histoire, pourra se délecter des différents partis pris de mise en scène. Cela va être très riche et très étonnant. Et pour les 30 ans, il y aura d’autres surprises.

F.G : Gilles Dyrek sera interviewé le samedi après-midi par Ariane Gardel, documentariste, scénariste et comédienne. Gilles aura un regard extérieur sur notre Festival, ce sera intéressant. Nous préparons aussi un livre de photos sur les 10 dernières années. Ces 10 dernières années, le numérique est arrivé, nous avons beaucoup de matière. De plus, nous avons la chance d’avoir Philippe Rappeneau, photographe sur la place de Troyes qui nous suit maintenant depuis plusieurs années. Nous allons faire une exposition qui sera montrée l’année suivante. Il y aura sûrement quelques petites surprises. Mon rôle, c’est de pousser tous les Scénobliens à aller plus loin. les bonnes idées ne coûtent pas forcément très cher. Et puis, une bonne idée en appelle une autre et cela fait boule de neige. Je suis sûre que des idées vont surgir au dernier moment.

Quelle place accordez-vous aux professionnels dans le festival ?

F.G : Il y 2 places différentes. Il y a celle tout au long de l’année et celle plus spécifique du metteur en scène du samedi pendant le week-end.

C’est un enrichissement pour les amateurs. Ils répètent du mois d’octobre jusqu’au mois d’avril sous la direction d’un metteur en scène professionnel, on alterne, une année c’est un homme, une année c’est une femme. Ce ne sont pas forcément des aubois. C’est bien aussi d’aller puiser un peu ailleurs. Pour moi, la difficulté pour le metteur en scène, c’est de créer tout de suite un esprit d’équipe pour que la sauce prenne, et que tout s’enroule et se déroule correctement. En général, très vite, les comédiens font équipe. C’est toujours très convivial, il y a une belle ambiance. Au sein des compagnies, les chefs de troupes sont ravis quand un des leurs va jouer dans la pièce du samedi soir parce qu’il revient et il explique tout ce qu’il a vécu et appris : comment on peut parler avec une meilleure diction, porter sa voix, se regarder quand on joue, etc… Pour moi, c’est très riche de travailler avec toutes ces personnes, professionnelles et amateurs. Il n’ y a pas de barrière lors des réunions. Chaque opinion a la même valeur.

Tout au long de l’année, les professionnels sont aussi des membres du collectif. Ils donnent un point de vue un peu différent. A chaque réunion, on est entre 10 et 15 personnes, pas toujours les mêmes. Ce mélange professionnels et amateurs est très riche. Je suis étonnée de voir la connaissance encyclopédique que certains amateurs ont du théâtre.

Quelles sont les perspectives pour les 30 prochaines années et comment souhaiteriez-vous que le festival évolue ?

F.V : Je souhaiterais pour les 30 prochaines années que le festival communique plus et trouve un rayonnement plus important au niveau régional et national. Je souhaite que l’évènement continue tel qu’il est, parce qu’il fonctionne très bien mais que l’on réussisse aussi à le faire évoluer en permanence pour éviter un sentiment de routine. C’est l’ enjeu à venir.

F.G : Je dirai ne pas être dans la routine, et toujours rester un lieu d’expérimentation. Cela fait d’ailleurs un an et demi que je leur dis  » Attention, cela va être les 30 ans, qu’est ce que l’on va faire de différent? « . Je souhaite continuer à leur offrir tout le champ des possibles et même au niveau technique. On se met souvent des limites. Il faut s’autoriser des choses qu’ils ne peuvent pas faire dans leurs troupes et aller chercher des idées ailleurs.

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