Samedi 8 février 2025, j’ ai eu le grand plaisir d’interviewer Hélène Cohen, auteure, comédienne et scénariste que j’ai vue en décembre dernier au Théâtre de la Huchette dans la pièce « Ostinato ».

Hélène est l’auteure du livre « le silence et le bruit  » paru aux éditions Stock

Hélène Cohen

Crédit Photo : Nathalie Mazeas

Peux-tu te présenter et décrire ton parcours? 

H.C : J’ai commencé très jeune comme comédienne. Je devais avoir 17 même pas 18 ans. Je venais de Perpignan, j’avais fait une école d’art dramatique là-bas. Ensuite, je suis venue à Paris. J’ai fait le Studio 34, qui est une école privée de théâtre. J’ai beaucoup travaillé à cette période dans des théâtres nationaux par exemple, à Lille et aussi avec une compagnie de Périgueux qui s’appelait  » La Compagnie de la Vache Cruelle  » . C’était formidable. Puis, j’ai intégré le Théâtre de la Huchette. Je fais maintenant partie de la troupe de ce théâtre. J’ai d’abord joué pendant plus de 20 ans l’élève dans  » La leçon  » de Ionesco. Et puis, j’ai grandi. La petite fille est devenue une dame. J’ai intégré depuis un peu plus de 10 ans  » La Cantatrice Chauve  » dans le rôle de Miss Martin. J’ai également fait de la mise en scène. J’ai monté plusieurs spectacles. Le dernier, c’était une adaptation de Huckleberry Finn, de Mark Twain, en comédie musicale. Et puis, à un moment donné, parce que c’est la vie des comédiens, surtout des comédiennes, et moi j’avais un emploi de comédienne jeune, Il y a moins de travail quand on arrive à 35, 40 ans, c’est un peu plus compliqué. Et donc, là, j’ai bifurqué vers le scénario. J’ai écrit beaucoup de scénarios pour la télévision. Et cela m’a bien pris beaucoup de temps. J’ai écrit pour des séries comme l’Instit, par exemple. Après j’ai fait aussi de la réalisation, j’ai réalisé entre autres un documentaire sur l’histoire de ma famille qui s’appelle  » Algérie 1962, l’été où ma famille a disparu » . Et puis après, c’est les accidents de la vie qui ont fait que je suis un petit peu arrêtée, qui m’ont un peu freinée dans mon parcours. J’ai une tendance à être un peu hyperactive, mais là il a fallu que je me pose. Et pendant cette période-là, j’ai vraiment eu envie de revenir au théâtre. Donc, il y a une dizaine d’années j’ai recommencé à jouer et à faire de la mise en scène, notamment au Théâtre de la Huchette. Et puis il y a à peu près trois ans, on s’est installé avec Olivier, mon compagnon, dans cette maison à Dienville. Et là, j’ai eu une énorme envie de faire des choses qui sont très compliquées à faire à Paris : c’est-à-dire d’avoir une compagnie, de monter des spectacles, avec les gens du coin. Donc tout ça, c’est devenu très passionnant. Et là, en dehors du fait que j’ai des projets professionnels peut-être un peu plus pointus, on a aussi l’envie de faire un festival ici à Dienville, puisqu’on vit dans un endroit où il y a de grands et beaux espaces qui permettent de rêver ça. On est en train de préparer un festival d’été sur trois jours où je vais monter un spectacle, ce sera  » La Savetière Prodigieuse  » de lorca où je mélangerais des comédiens professionnels, et pour le reste de la troupe, des comédiens non professionnels. On va commencer à travailler là-dessus. Il y aura aussi des spectacles tout public, qui viendront de Paris et d’autres animations et d’événements autour de la lecture, autour du livre, Sur trois jours, ça devrait être sympa. Ce sera les 17-18 et 19 juillet.

Quel lien as-tu avec le Théâtre de la Huchette ?

H.C : Alors, le théâtre de la Huchette, c’est un peu ma famille. J’y suis rentrée lorsque j’étais très jeune, je devais avoir 24 ans, complètement par hasard et par chance, et c’est vraiment un endroit extraordinaire. C’est une vraie troupe, comme il n’en reste plus tellement. Il y a la Comédie française et il y a la Huchette, on est une quarantaine d’acteurs. Dans  » La cantatrice chauve  » , chaque personnage est joué par 4 ou 5 comédiens c’est à dire que moi je suis Madame Martin mais il y a aussi 4 autres comédiennes qui jouent Madame Martin et il y a 5 comédiens qui jouent Monsieur Martin. C’est un spectacle qui se joue depuis 1957. Donc c’est sûr que le même comédien ne peut pas jouer aussi longtemps. C’est pour ça que cette alternance a été créée. C’est une alternance aujourd’hui qui est assez commune maintenant dans le théâtre, mais qui à l’époque était tout à fait extraordinaire. Ça ne se faisait pas du tout, mais c’était obligatoire pour un spectacle qui durait. C’est le record mondial du spectacle qui s’est le plus joué. On est cinq comédiens par rôle. Moi je joue environ deux semaines tous les deux mois, deux mois et demi. Donc on ne joue jamais tout à fait avec les mêmes. C’est-à-dire qu’il y a plein de combinaisons possibles. C’est un théâtre extrêmement vivant, solidaire. On est très heureux de se retrouver. Bien sûr, il y a d’autres spectacles qui se jouent à la Huchette. Il y a aussi ce qu’on appelle le troisième spectacle qui se joue à 21 heures. Moi j’ai joué dans plusieurs de ces spectacles. Le dernier c’était  » Ostinato  » qui s’est joué à l’automne. Mais j’ai aussi mis en scène plusieurs spectacles dans ce créneau-là. J’ai créé aussi, avec d’autres, un comité de lecture. On organise régulièrement des lectures de textes de pièces contemporaines en présence des auteurs. Pour essayer d’aider les auteurs à faire connaître leurs pièces et leur donner un petit coup de pouce. Voilà, on fait beaucoup de choses. J’estime que j’ai une énorme chance de croiser le chemin de ce théâtre. C’est tout à fait extraordinaire comme lieu. On est une troupe et une coopérative, c’est-à-dire que le théâtre nous appartient d’une certaine manière, on gère, on est tous actionnaires et co-dirigeants de ce petit théâtre, même si évidemment il y a un directeur. Parce qu’il faut bien que quelqu’un gère et prenne des décisions, etc. Mais voilà, on est intéressés tous à l’organisation et à la programmation, à tout ce qui se passe dans ce théâtre.

Comment expliques-tu que des pièces  » la leçon  » et  » la Cantatrice Chauve « puissent être jouées depuis 1957 dans ce théâtre et dans leur mise en scène d’origine?

H.C : C’est vraiment unique et spécifique au théâtre de la Huchette. En fait, c’est indémodable. Au départ, c’était un spectacle qui était très shocking. C’est-à-dire que ça a mis beaucoup de temps, parce que c’est du théâtre de l’absurde et à l’époque, on ne savait pas trop ce que c’était. Beaucoup de gens sortaient de la salle horrifiés, il y avait des critiques épouvantables qui disaient, mais jamais ce Ionesco ne marchera, c’est ni fait ni à faire. En fait, beaucoup de gens ne comprenaient pas. Puis après, petit à petit, ça a pris, mais ça a mis du temps. la pièce aurait pu s’arrêter au bout de quelques représentations, tellement la réception a été compliquée au départ. Ils ont tenu le coup et maintenant évidemment plus de 60 ans après, c’est devenu un classique qui est étudié à l’école. Il y a pas mal de groupes de jeunes qui viennent voir ces pièces. Les 2 grands metteurs en scène Marcel Cuvelier et Nicolas Bataille qui ont monté ces pièces avec une troupe à l’époque extraordinaire. le théâtre de la Huchette est une petite salle de 90 places et la salle est relativement vite pleine. Si on avait démarré dans une salle de 300 places, cela aurait été sans doute un peu différent. Et c’est vrai que ça continue à marcher très bien. Il y a une grande rigueur de la direction du théâtre pour que le spectacle soit toujours au top. C’est-à-dire qu’on fait des raccords toutes les semaines et régulièrement la personne qui est chargée de la mise en scène et de la direction d’acteur nous fait travailler. Il y a des renouvellements de la troupe régulièrement aussi, donc des nouveaux comédiens qui rentrent. il y a beaucoup de rigueur pour que le spectacle soit toujours au maximum. Et c’est vrai que c’est le cas. C’est de grande qualité et Il y a d’excellents acteurs.

Tu as crée une compagnie : la Compagnie de l’Aube, quels sont tes projets avec celle-ci?

H.C : Il y a beaucoup de projets. On a par exemple , très envie de travailler avec les comédiens des environs, parce qu’il y a quand même pas mal de comédiens non professionnels dans le secteur qui sont formidables, mais de grande qualité, et donc on a envie aussi de faire des choses ensemble. Et ça va commencer cet été avec le spectacle qu’on va monter tous ensemble, qui s’appelle  » la Savetière Prodigieuse  » de Lorca. Et l’idée, parce que c’est un spectacle où il y a beaucoup de monde, c’est de mélanger effectivement deux comédiens qui vont venir de Paris, qui sont des comédiens professionnels, qui font d’ailleurs partie de la troupe de la Huchette, et puis pour le reste de la distribution, des comédiens locaux, qui pour la plupart font partie de la troupe de théâtre de Dienville. Et après, depuis que nous sommes ici, On a déjà organisé des stages, des ateliers. Donc l’idée c’est de continuer aussi un petit peu à travailler sur des points un peu précis avec les comédiens d’ici. On a aussi créé un petit théâtre qu’on est en train de finir. On a déjà accueilli plusieurs spectacles, le prochain ce sera le 15 mars et c’est un spectacle qui s’appelle  » Le temps d’une triple croche  » . C’est un très beau spectacle que j’ai vue plusieurs fois à Paris, qui a été joué à Avignon, qui a beaucoup tourné maintenant, qui est un très beau spectacle avec deux comédiennes virtuoses , musiciennes et chanteuses. Il aborde le thème de l’apprentissage de la musique classique et la dureté de cet apprentissage. Les deux, comédiennes, chanteuses, musiciennes, sont extraordinaires et magnifiques. Donc l’idée c’est de proposer aussi des spectacles ici, évidemment de qualité, mais un peu différent de ce que les gens ont l’habitude de voir. L’année dernière, on a fait venir Marie Thomas qui est une comédienne et qui a joué  » Comment va le monde? « , qui est un très beau spectacle, l’histoire d’un clown qui nous fait partager sa vision du monde. Je souhaite continuer à faire venir dans cette petite salle des coups de cœur, des spectacles que j’ai vus et que j’adore et que j’ai envie de partager. On a beaucoup de de projets, trop sans doute car je suis un peu boulimique. Et puis on a aussi un projet professionnel qui est de monter un spectacle autour d’un texte de Nane Beauregard qui s’appelle  » La Fissure  » . Le spectacle s’appellera  » Let Me Out  » et c’est un seul en scène que je jouerai, j’ai fait l’adaptation du texte et la mise en scène est de Séverine Vincent.. On a commencé un travail de résidence ici, on n’a pas encore de lieu pour jouer, on cherche des lieux partenaires et de résidence pour jouer dans la région et aussi à Paris. On est un peu au début de l’aventure, mais c’est un très beau projet, assez exigeant, mais qui est magnifique.

 Peux tu parler de ton livre: le silence et le bruit?

H.C : C’est un long cheminement, ce livre. Je n’ai pas fait que ça pendant ce temps-là, mais ça a pris 20 ans, l’écriture de ce livre. C’est vraiment un récit très personnel, très intime autour d’une histoire familiale. En fait, c’est la découverte à la mort de mon père, qu’une grande partie de sa famille a disparu à la fin de la guerre d’Algérie. Ce que j’ignorais, et j’ignorais aussi qu’il avait deux sœurs, une qui a disparu et l’autre, je l’ai appris, je l’ai compris plus tard, s’est suicidée après ses disparitions. Et donc, voilà, ça a été un grand chemin. Je n’avais jamais entendu parler de ses parents, ni de ses sœurs, ni des disparitions. Donc, voilà, ça a été un énorme choc. Et à partir de ce moment-là, j’ai vraiment commencé à enquêter autour du silence de mon père sur ce drame familial, sur ce secret de famille. Parce que c’était ça au départ, pour moi. Pourquoi ? Pourquoi ? Il ne nous a jamais parlé de ses parents, il ne nous a jamais parlé de ses sœurs, pourquoi il ne nous a jamais parlé des disparitions. Et puis, ça c’était dans un premier temps la grande interrogation sur mon père en fait. J’ai compris que je ne le connaissais pas alors qu’il venait de mourir. Et la deuxième chose, c’est ensuite qu’est-ce qui avait bien pu se passer, qu’est-ce qui leur est arrivé, qu’est-ce que ça voulait dire ces disparitions, qu’est-ce qu’ils savaient, qu’est-ce qui leur est arrivé en fait. Et donc à partir de là, j’ai vraiment tout arrêté et puis j’ai commencé à travailler, enfin à beaucoup enquêter auprès de ma mère, à qui je n’avais jamais posé de questions non plus, et puis auprès de la famille de mon père que j’ai découverte puisque je ne les connaissais pas et j’ignorais que mon père avait toute cette famille qui restait. Et à partir de là, il y a eu un travail et une grosse période d’élaboration et d’écriture qui a abouti à ce livre qui s’appelle donc « Le silence et le bruit » et qui est paru aux éditions Stock en 2022. Et je pense que c’est l’une des choses les plus personnelles et les plus importantes que j’ai faite dans ma vie qui m’a porté aussi pendant des années. J’ai quand même développé une espèce de névrose obsessionnelle à vivre avec ces fantômes pendant très longtemps et ses secrets de famille. C’est un livre qui est très important pour moi et qui a changé beaucoup de choses dans ma vie. C’est mieux qu’une psychanalyse. J’ai beaucoup aimé écrire, sur un plan littéraire, parce que j’ai toujours écrit. Mais là, c’est vraiment une autre forme d’écriture. J’ai beaucoup aimé ça, j’aimerais bien continuer, mais je n’y arrive pas avec tous les projets de théâtre. Il faut choisir. Pour le moment, je choisis d’avancer dans le théâtre et aussi parce qu’après toutes ces années de solitude avec mes fantômes, j’ai vraiment envie aussi de travailler avec d’autres personnes. J’ai très envie de ça aussi.

 Quels conseils donnerais-tu à un jeune comédien qui débute dans le métier?

H.C : c’est un très beau métier. Le conseil, ce serait de tester sa passion. Quelle est réellement la profondeur de cette passion ? Si c’est vraiment une passion, on ne doit pas pouvoir imaginer faire autre chose. Si on peut imaginer faire autre chose, il y a un petit risque que ce métier ne soit pas fait pour nous. C’est un métier qui fait rêver beaucoup de jeunes comédiens mais dans lequel il y a pas mal d’insécurité. C’est une petite minorité qui vraiment brillent ou qui deviennent vedettes. À chaque fois, c’est à recommencer, on n’est jamais sûr de trouver du travail. Il faut vraiment être passionné. Il faut aussi cultiver sa singularité et chercher son ton, son rythme, sa spécificité. Ce sont des choses qu’on ne dit pas assez aux jeunes comédiens. Il y a beaucoup de candidats, et pour ceux qui arrivent vraiment à avoir une nature, un physique, quelque chose qui sort du lot, c’est toujours mieux. On pense souvent, parce que c’est ce qu’on voit à la télé, qu’il faut être beau et lisse. Ce n’est pas pas vrai. Il faut prendre le temps de s’interroger sur les raisons pour lesquelles on a envie de faire ça. Et puis une fois qu’on est sûr que ce métier est fait pour nous, il faut y aller, c’est-à-dire prendre des cours. J’ai vu des jeunes comédiens qui n’allaient jamais au théâtre. Je me disais, mais comment peut-on avoir envie d’être comédien et ne pas aller au théâtre? En fait, déjà, il faut vraiment aimer le théâtre, y aller, et se faire une idée une opinion de ce qu’on aime et de ce qu’on aime pas, du genre de théâtre qui nous plaît le plus, des metteurs en scène, avec qui on a envie de travailler. Il faut se confronter à la réalité et voir comment on réagit sur un plateau. Cela se sent s’il y a une petite flamme ou pas. Après on peut aimer le théâtre et ne pas être forcément fait pour jouer. On peut aussi bifurquer vers la mise en scène. Il y a beaucoup de jeunes qui ont commencé en étant comédiens et qui sont devenus d’excellents metteurs en scène. Il faut pratiquer le plus possible.

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